L'affaire récente de l'Oratoire Saint-Joseph s'applique-t-elle aux réclamations pour abus sexuels contre un ex-mari après un divorce réglé ?
- Gozlan Law
- 31 mars
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Dans l'affaire Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J. ([2019] 2 R.C.S. 115), la Cour suprême du Canada a statué que les réclamations pour abus sexuels historiques peuvent être poursuivies malgré les défenses liées aux délais de prescription, en particulier lorsque le plaignant allègue qu'il n'a pas pu agir plus tôt en raison de traumatismes psychologiques ou d'un déséquilibre de pouvoir dans la relation. Cette décision reflète la reconnaissance par la Cour de la nature unique des affaires d'abus sexuels et de l'impact psychologique durable qui peut retarder la capacité d'une victime à poursuivre une action en justice.
Cependant, la question de savoir si l'affaire Oratoire Saint-Joseph s'applique à une situation impliquant des allégations d'abus sexuels contre un ex-mari, soulevées plus de 30 ans après les abus allégués et après un divorce réglé, soulève des questions juridiques distinctes et complexes. Ces complexités proviennent de l'intersection des règles de délai de prescription, de la finalité des accords de divorce et de la nature de la relation entre les parties.
1. Délais de prescription et découvrabilité
La question clé dans Oratoire Saint-Joseph était la prise de conscience tardive du préjudice causé par les abus, ce qui a permis à la réclamation de continuer malgré l'expiration du délai de prescription légale.
Dans cette affaire, la Cour suprême a renforcé que le "principe de découvrabilité" s'applique aux réclamations pour abus sexuels historiques, ce qui signifie que le délai de prescription commence seulement lorsque le plaignant prend conscience du préjudice et de son lien avec les abus.
Plusieurs provinces canadiennes ont éliminé les délais de prescription pour les réclamations pour agressions sexuelles, reconnaissant les défis uniques auxquels les victimes sont confrontées lorsqu'elles souhaitent se manifester.
Si l'ex-épouse peut démontrer qu'elle était psychologiquement incapable de traiter ou d'agir sur les abus jusqu'à récemment — en raison de traumatismes, de répression ou de manipulation psychologique — elle pourrait soutenir que le délai de prescription ne devrait pas s'appliquer ou qu'il a été suspendu en vertu du principe de découvrabilité.
Cependant, le fait qu'elle ait été légalement représentée lors du divorce et ait participé à un règlement pourrait compliquer cet argument. Si elle a révélé les abus ou leurs effets au cours de la procédure de divorce, le tribunal pourrait considérer qu'elle avait suffisamment de conscience pour agir plus tôt, ce qui affaiblirait une réclamation fondée sur la découvrabilité.
2. Impact de l'accord de divorce
Un règlement de divorce introduit une couche de complexité non présente dans Oratoire Saint-Joseph.
Les accords de divorce incluent souvent des clauses de renonciation qui interdisent de futures réclamations liées à des questions découlant du mariage. Si l'ex-épouse a signé une renonciation large, l'ex-mari pourrait affirmer que cela l'empêche de poursuivre une réclamation pour abus sexuels maintenant.
Cependant, les tribunaux canadiens ont généralement jugé que les renonciations ne peuvent pas empêcher les réclamations pour des délits intentionnels tels que les agressions sexuelles, à moins que le libellé de la renonciation n'aborde explicitement de telles réclamations.
De plus, les tribunaux peuvent annuler un accord de règlement si celui-ci a été conclu sous contrainte, influence indue ou fraude, ou si des faits importants, tels que l'existence d'abus sexuels, n'ont pas été divulgués.
Si l'ex-épouse peut démontrer qu'elle a été contrainte de conclure l'accord ou qu'elle n'avait pas la capacité psychologique ou émotionnelle de consentir en raison des effets des abus, le tribunal pourrait être disposé à reconsidérer la finalité de l'accord.
3. Consentement et poursuite de la relation
Le fait que l'ex-épouse soit restée mariée à l'ex-mari pendant des années après les abus allégués soulève des défis factuels et de crédibilité, mais cela ne remet pas nécessairement en question sa réclamation.
Les tribunaux ont depuis longtemps reconnu que les victimes d'abus restent souvent dans des relations en raison de dépendances psychologiques, émotionnelles et financières complexes.
La peur, la manipulation et le cycle d'abus peuvent empêcher les victimes de partir ou de reconnaître la nature abusive de la relation jusqu'à bien après la fin de celle-ci.
Si l'ex-épouse peut prouver que les abus allégués ont créé un déséquilibre de pouvoir qui a influencé sa décision de rester dans le mariage ou retardé sa reconnaissance du préjudice, le tribunal pourrait estimer que la relation continue ne remet pas en cause sa réclamation.
4. Défenses possibles de l'ex-mari
Si l'ex-épouse dépose une réclamation, l'ex-mari pourrait soulever plusieurs défenses clés :
Défense de prescription : Si la loi provinciale impose un délai de prescription et que l'ex-épouse était consciente des abus mais n'a pas agi, l'ex-mari pourrait affirmer que la réclamation est irrecevable. Cependant, si la province a supprimé les délais de prescription pour les réclamations d'agression sexuelle ou si le principe de découvrabilité s'applique, cette défense pourrait échouer.
Finalité de l'accord de divorce : Si l'accord de divorce comprenait une renonciation aux réclamations, l'ex-mari pourrait affirmer que la réclamation est barrée. Le succès de cette défense dépend du libellé de la renonciation et de la volonté du tribunal de l'annuler en raison des allégations d'abus.
Disputes factuelles : L'ex-mari pourrait affirmer que les abus n'ont jamais eu lieu ou que le retard considérable de l'ex-épouse à se manifester nuit à la crédibilité de sa réclamation.
5. L'affaire Oratoire Saint-Joseph aide-t-elle l'ex-épouse ?
Oratoire Saint-Joseph offre une orientation importante sur les délais de prescription et les obstacles psychologiques à la présentation en temps utile des réclamations dans les affaires d'abus sexuels. Cependant, elle ne traite pas directement de l'impact d'un règlement de divorce sur de telles réclamations.
La capacité de l'ex-épouse de s'appuyer sur Oratoire Saint-Joseph dépendra des lois de prescription spécifiques dans la province où la réclamation est déposée.
Si la province a supprimé les délais de prescription pour les réclamations d'agression sexuelle ou si le principe de découvrabilité s'applique, l'ex-épouse pourrait être en mesure de poursuivre malgré le passage du temps.
Cependant, l'existence d'un règlement de divorce complique l'analyse. Si le tribunal considère que les abus étaient connus ou connaissables au moment du divorce ou que la renonciation dans le règlement couvre les délits intentionnels, l'ex-mari pourrait réussir à rejeter la réclamation.
Conclusion
Bien que Oratoire Saint-Joseph renforce la position des plaignants dans les affaires d'abus sexuels historiques, elle ne résout pas directement l'impact d'un règlement de divorce antérieur sur de telles réclamations. Le succès de l'ex-épouse dépendra de :
Les termes de l'accord de divorce et s'il couvre explicitement les réclamations d'abus.
Si les lois provinciales sur les délais de prescription permettent aux réclamations d'agression sexuelle historiques de continuer.
La capacité de l'ex-épouse à prouver que le traumatisme psychologique ou un déséquilibre de pouvoir l'a empêchée d'agir plus tôt.
L'affaire met en évidence la reconnaissance croissante de l'impact profond et durable des abus sexuels, mais la question de savoir si cette reconnaissance s'étend au contexte des accords de divorce réglés reste une question non résolue en droit canadien.
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